7.19.2012

Vers une mobilisation européenne en défense de la santé publique

Source : inprecor

Par Jan Malewski

Si les Traités ne prévoient pas de compétences directes des institutions de l’Union européenne dans le domaine de la protection maladie, depuis une vingtaine d’années on observe dans tous les pays membres une remise en cause des droits et des acquis sociaux en la matière. Ces droits sont le résultat des rapports de forces sociaux à l’issue de la seconde guerre mondiale. Ainsi la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) stipule : « La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale. » De ce fait la protection de la santé échappait largement aux rapports du marché.


« Libéralisation », privatisation…
La santé connaît une « libéralisation » croissante, accélérée encore depuis l’éclatement des « bulles financières » en 2001 et depuis 2007. Potentiellement, elle constitue en effet un très large secteur pour l’accumulation du capital et les systèmes de protection maladie apparaissent, aux yeux des capitalistes à la recherche de nouvelles sources du profit, comme une vache à lait.
A la suite des politiques néolibérales, la préoccupation centrale des gouvernements de l’UE est devenue celle du financement de la protection maladie du fait du décalage croissant entre les recettes (réduites par les nombreux « allégements des charges sociales » et de l’imposition du capital) et les dépenses (qui continuent de croître du fait du vieillissement des populations et de l’augmentation continue des prix des médicaments et des équipements médicaux). Comme la norme de concurrence est au centre de la construction européenne néolibérale, les tentatives de « maîtrise des dépenses » de protection maladie, c’est à dire les coupes budgétaires, ont entrainée l’introduction des mécanismes s’apparentant à ceux du marché : la réforme allemande de 1992, renforcée en 1997, a introduit la concurrence entre les caisses de maladie, en France cette concurrence a été généralisée pour la couverture complémentaire (mutuelles), en Grande-Bretagne la réforme de 1990 a introduit la concurrence au niveau de l’offre des soins entre les agences sanitaires de district et le cabinets des médecins généralistes, accrue par une nouvelle réforme en 1999. Ces mécanismes de « quasi-marché » mis en place en Angleterre ont servi de modèle de référence en Espagne. C’est en Catalogne que la concurrence entre établissements publics et privés à été le plus nettement mise en œuvre. Ces évolutions transformant les soignants en « entrepreneurs de soins », ont conduit à la thématique de « l’hôpital entreprise » qui s’est traduite par des réformes managériales internes des établissements hospitaliers, accompagné d’une évolution du profil sociologique de leurs directeurs. L’hégémonie idéologique néolibérale a conduit à la diffusion généralisée de la concurrence entre prestataires de soins et à la mise en place d’instruments de mesure de performance des soins ainsi qu’au transfert des « solutions » (schémas organisationnels etc.) d’un pays à l’autre. Dans le secteur de la santé, comme dans d’autres, on a assisté à l’apparition d’une véritable élite internationale de « spécialistes », qui imposent dans leurs pays les recettes néolibérales élaborées au plan européen et international (1).
Un récent rapport du secteur de recherches de la Deutsche Bank (2), consacré à la croissance possible des revenus de la concurrence, indique qu’il y a « des bénéfices qui peuvent dériver de la privatisation des services gouvernementaux d’intérêt général, par exemple (…) des établissements de santé », car « fondamentalement, il s’agit de marchandises ». Il poursuit en expliquant que « les équipements (tels les hôpitaux), qui ne couvrent pas leurs frais d’exploitation et/ou sont endettés » devraient être privatisés « avec une remise correspondante » et que « c’est une manière pour le gouvernement de réduire ses futures obligations financières tout en offrant à ces équipements l’occasion d’être restructurés avec succès par les propriétaires privés ». Et comme les gouvernements ont des obligations dans le domaine des services de santé, le rapport annonce d’emblée qu’à la suite de la privatisation du secteur de santé « le gouvernement pourrait obtenir ces services des fournisseurs privés en les payant » et cite en exemple « les réservations requises de capacités des hôpitaux en périodes de crises, telles que les épidémies »… Bref, les gouvernements devraient vendre avec remise les établissements de santé pour ensuite y payer, sans remise, les réservations des capacités nécessaires… Les auteurs signalent encore, en note, que si les gouvernements pourraient hésiter à vendre les biens publics, du fait d’une substantielle opposition civique et des accusations qu’ils « vendent des bijoux de famille », « une importante partie du potentiel se trouve au niveau municipal, car les municipalités sont plus ou moins autonomes ce qui constitue une clé d’une grande portée pour les initiatives de privatisation » — ce qui sous-entend que les élus municipaux seraient plus « abordables »… ou corruptibles (3).
Ces recettes visent la « restructuration » du service de santé, c’est-à-dire consistent à la fois à remettre en cause les acquis des salariés de la santé (salaires, conditions de travail, protection sociale…) en vue de réduire le coût de la main d’œuvre et de réorganiser les établissements de santé en vue de trier entre les soins rentables, pour pouvoir les privatiser, et ceux qui ne le sont pas.

…et leurs résultats
La Pologne est un exemple des résultats de cette politique. Le financement des soins y a été transféré à un Fonds national de santé, divisé en structures régionales, qui financent des contrats annuels fixes — donc indépendants des évolutions des besoins de  patients — des services de santé aux établissements publics ou non. Ce système a d’abord permit de bloquer les dépenses, puis de rendre déficitaires les hôpitaux publics, qui ont l’obligation de soigner même lorsque leur contrat a été dépassé. La propriété des hôpitaux de proximité a aussi été transférée aux localités ou aux cantons, sans qu’ils disposent de budgets nécessaires. Une nouvelle loi prévoit que tous les hôpitaux endettés devront être « commercialisés » (transformés en sociétés anonymes) jusqu’à la fin 2012, sinon leurs « propriétaires » publics devront rembourser la dette en six mois. L’effet espéré a été atteint : les hôpitaux sont massivement privatisés. Ces hôpitaux privés, orientés vers la maximalisation de leurs bénéfices, profitent de toutes les failles du système  de financement. Un récent rapport de recherche réalisée dans sa région par l’Université médicale de Gdansk (GUM) conclue que « les établissement non publics : 1. offrent un éventail plus restreint de soins et utilisent fréquemment plus de 50 % de leur contrat pour une procédure unique ; 2. réalisent des procédures dont la marge est plus haute ; 3. évitent les patients dont l’hospitalisation pourrait être longue ; 4. dans certaines situations une sélection de patients du fait de l’âge peut se produire. » (4) Le quotidien Gazeta Wyborcza résume : « Un patient atteint de complications, nécessitant une hospitalisation prolongée, n’ira pas dans un établissement privé car il n’est pas rentable. Où sera-t-il traité ? Dans les hôpitaux publics, où la majorité des malades n’est pas rentable, comme lui. » (5) L’autre face de la médaille : les salariés voient leurs contrats de travail remis en cause (6). Une salariée du Centre médical de Piekary Slaskie, qui a été transformé en société anonyme détenue (encore) par la mairie, écrivait récemment dans une lettre à la presse : « Notre respectée Madame le PDG a eu une idée géniale : que toutes les aides-soignantes démissionnent et elle va les reprendre avec un contrat de commande (7), (…) des femmes, qui ont vingt-cinq ans d’ancienneté, qui sont déjà exploitées par le dur labeur, qui en acceptant de tels contrats n’auront plus de congés payés, ne pourront plus prendre un congé maladie car chaque sous comptera pour elles. Elles vont simplement être détruites. Et quelle parodie — elles ne seront pas licenciées, elles doivent se licencier elles-mêmes ! (…) Les femmes sont brisées, elles ne savent pas quoi faire, elles n’osent pas dire NON à haute voix. Alors, en leur nom, je lance un appel au secours ! »
Soulignons, que les médias internationaux n’arrêtent pas de souligner la bonne santé économique de la Pologne (taux de croissance en 2011 : 4 %) et de la présenter comme un exemple, contrairement à la Grèce.
Mais en Grèce, à la suite des mémorandums de la Troïka, on voit une véritable crise humanitaire et sanitaire. Alors qu’un mouvement avait imposé au cours des années 1980 un système de santé public et gratuit, il ne reste que des ruines. Durant les neuf premiers mois de 2010 le budget du service national de la santé a été réduit de 60 %, entrainant fermetures des services de soins, suppression des emplois et diminution des salaires. Les hôpitaux psychiatriques, jugés non indispensables, ont fermé. Trois millions de personnes, soit près d’un tiers de la population, se retrouvent sans aucune couverture sociale, car l’assurance maladie est liée à un emploi. Les hôpitaux n’ont plus les moyens de fournir les médicaments. Et tout accès à un établissement de soins est conditionné par le payement d’un « ticket d’entrée » de 5 €. Enfin une offensive raciste vise les immigrés, pointés comme « responsables du déficit » et il est même demandé aux soignants de refuser les sans-papiers et de les dénoncer… Des femmes immigrées ont subie la « confiscation » de leurs nouveaux-nés, restitués à leurs mère après acquittement du prix de l’accouchement ! (8)
Les exemples polonais ou grec ne sont pas isolés. Alexis Benos écrit : « La réalité dans les différents pays est remarquablement semblable. La Belgique a annulé le droit de l’accès universel aux services de santé et légalisé la sélection au nom du profit des patients du secteur privé. En Grande-Bretagne, la liste des diagnostics qui ne sont pas couverts par les services de santé gratuits, car ils “ne mettent pas immédiatement la vie en danger”, s’allonge. Cette liste de procédures inutiles comprend même la chirurgie du genou, celle des articulations de la hanche et la cataracte ! En Espagne, après la fermeture des lits dans les hôpitaux publics, la santé est reconnue maintenant par la loi comme une marchandise, et le traitement des immigrés n’a rien à envier à la misérable politique de Papadopoulos et Loverdos [en Grèce]. En Allemagne, 30 % des hôpitaux publics ont déjà été livrés au secteur privé. (…) En Italie, la participation des patients au payement de leurs médicaments est passée de 35 % à 40 %. » (9) Ajoutons qu’en Belgique, où les hôpitaux appartiennent (encore) essentiellement au secteur privé non lucratif (associatif, mutualiste, etc.), les services sont petit à petit « externalisés » et une partie des subsides atterrissent de cette manière dans les caisses du privé. Les maisons de retraite connaissent une différenciation : les plus rentables (le plus chers) sont commercialisés, ce qui s’accompagne d’une détérioration des conditions de travail des personnels. Et en Italie, le gouvernement Monti prépare d’augmenter son « plan d’économies » pour le porter à 25 milliards d’euros. Dans ce cadre les dépenses de santé « devront être diminuées de 1,5 milliards d’euros » (10).

Luttes victorieuses contre la privatisation de la santé
Ces politiques justifiées par des raisons budgétaires visent en réalité de rendre la plus grande partie du secteur de la santé rentable, pour la privatiser. Ce sont les exigences du capital qui déterminent les projets de « restructuration ». Par exemple, le groupe d’investissement Penta, que le syndicat des médecins slovaques LOZ/LUP a dénoncé comme devant être le bénéficiaire de la privatisation du secteur hospitalier, écrit dans sa page web à propos de ses « critères d’investissement » que « le taux de rentabilité interne exigé est au minimum de 20 % pour chaque investissement » (11). Pour que les hôpitaux réalisent une telle marge, il fallait que le gouvernement slovaque casse la résistance des médecins, en particulier qu’il refuse leurs revendications salariales.
Après des semaines d’actions de protestation des médecins et les grèves des étudiants en médecine, pour « sauver le système public de soins », et de négociations sans résultats avec le gouvernement, un tiers de médecins hospitaliers de Slovaquie ont annoncé qu’ils démissionneraient le 30 novembre 2011 si leurs demandes n’étaient pas satisfaites. Leurs revendications : respect du code du travail et des règlements de sécurité du travail, modification du système de financement des hôpitaux qui ne reflète pas les coûts réels et permet aux cinq compagnies d’assurances santé de réaliser des profits, arrêt de la transformation des hôpitaux en sociétés anonymes régies par le code du commerce, garantie légale des salaires pour les médecins entre 1,5 et 3 fois le montant du salaire moyen (12). Bien que le gouvernement ait eu recours à l’état d’exception (qui impose la réquisition des médecins) et ait fait venir des médecins militaires tchèques pour les remplacer, 1500 médecins ont suivi le mot d’ordre syndical, bloquant ainsi le fonctionnement des hôpitaux et forçant le gouvernement à capituler le 5 décembre 2011. « Par cette action, les médecins ont sauvé le caractère public des services médicaux en Slovaquie. La transformation de tous les hôpitaux en sociétés anonymes commerciales a été stoppée. Le prix réel des services médicaux, incluant les salaires des professionnels de la santé, a été adopté. Une loi sur le salaire minimum des médecins a été adoptée — actuellement il est fixé entre 1,05 et 1,6 fois le salaire moyen dans l’économie ; à partir du 1er juillet 2012 il montera entre 1,2 et 1,9 fois le montant du salaire moyen national. » (13)
En Roumanie, fin décembre 2011, dans le cadre de l’austérité réclamée par le FMI, la Banque mondiale et l’Union européenne (14), l’équipe du président Basescu s’est attaquée fin décembre 2011 au système de santé. Sa contre-réforme prévoyait une réduction de la couverture médicale afin de faire entrer au moins quatre assureurs complémentaires privés sur le marché de l’assurance maladie, ainsi que la « commercialisation » des établissements de santé, dont le Service mobile d’urgence, réanimation et désincarcération (SMURD). Raed Arafat, un médecin d’origine palestinienne, fondateur du SMURD et sous-secrétaire d’État à la Santé, a critiqué cette réforme lors d’une émission télévisée le 12 février 2012. Le président Basescu est alors intervenu en direct et l’insultant et Arafat a démissionné, également en direct. Dès le lendemain la population roumaine, harassée par l’austérité, est descendue dans les rues de Bucarest et d’autres villes : le mouvement des « indignés roumains » venait de naître. Bien que le président ait d’emblé annoncé le retrait de la réforme et que R. Arafat ait été réintégré au gouvernement, malgré la neige et le froid, des milliers d’indignés vont occuper les rues, jusqu’à obtenir la démission du gouvernement dirigé par Emil Boca, le 6 février. Un nouveau gouvernement de coalition des partis de droite, dirigé par Mihan Razvan Ungureanu, a démissionné à son tour trois mois plus tard. Des élections anticipées sont prévues en novembre 2012. La mobilisation contre la « réforme » de la santé a ouvert la voie à la contestation de toutes les politiques d’austérité !

En Allemagne, la privatisation des hôpitaux a déjà avancé. La multinationale Frasenius, d’abord centré sur les appareils de dialyse, puis sur les cliniques de dialyse, avant d’élargir ses activités à l’industrie pharmaceutique et aux hôpitaux, y possède déjà 75 hôpitaux. La décentralisation du système de santé — c’est-à-dire la décentralisation des dépenses — conduit les organes administratifs locaux à tenter de ce débarrasser du poids des dépenses pour la santé. C’est dans ce cadre que la municipalité de Dresde a tenté de fusionner les deux hôpitaux municipaux qu’elle gère au sein d’une société anonyme et d’en transférer la gestion à un groupe privé, premier pas vers sa vente. Pour s’y opposer, une « Alliance pour les hôpitaux » a été construite, regroupant leur personnel, le syndicat Ver.di, le collectif « Bas les pattes devant les hôpitaux », les partis politiques (Die Linke, SPD…). 37 000 signatures furent collectées sur une pétition pour le maintien du statut municipal des hôpitaux. Un référendum a été imposé et, le 29 janvier 2012, à la question « Les hôpitaux Dresden-Friedrich et Dresden-Neustadt soivent-ils garder le statut d’entreprises communales de Dresde ? », le « oui » à 84 % des suffrages exprimés. La participation fut de 37 % des inscrits, soit au delà du minimum requis de 25 %, ce qui fait que le résultat du référendum s’impose à la municipalité de Dresde pour les trois années à venir.

Un mouvement de résistance européen est né !
Ces luttes victorieuses ont trois caractéristiques. D’abord, elles mobilisent bien au delà des travailleurs de la santé, comme en Roumanie et à Dresde (Allemagne). Ensuite, les confédérations syndicales dominantes, faisant partie de la Confédération européenne des syndicats (CES), n’y jouent pas un rôle moteur, voire ne les soutiennent pas. Parfois — comme en Slovaquie — c’est un syndicat catégoriel qui y joue un rôle central. Finalement, la CES, qui dispose d’énormes moyens qui pourraient lui permettre ne serait-ce que de traduire et de faire connaître dans tous les pays membres de l’UE des informations sur les attaques patronales et gouvernementales dont ses membres sont victimes et sur les luttes menées à l’échelle nationale, ne les fournit même pas aux syndiqués. Alors que les capitalistes disposent de multiples structures de coordination, la coordination européenne des luttes menées par les salariés du secteur de la santé et les populations reste à faire. Ce sont des structures ad-hoc et parfois des associations européennes catégorielles (comme la Fédération européenne des médecins salariés) qui font connaître à l’extérieur du pays les revendications des mobilisations en défense de la santé. 

L’éclatement des bulles financières spéculatives (c’est-à-dire l’effondrement de ce que Marx appelait « le capital fictif ») et la récession (autrement dit la réduction des possibilités d’investir des capitaux à des taux jugés « rentables ») ont accéléré la recherche de nouveaux espaces de capitalisation. Dans la santé cela conduit à un saut qualitatif de la « libéralisation » et à une accélération des « restructurations » pour « ouvrir au marché » un secteur qui était encore largement protégé. C’est « une politique internationale uniforme, dont les caractéristiques  sont cohérentes. Ces principales étapes sont la commercialisation des services de santé (création du marché intérieur), démantèlement du service de la santé publique et de la protection sociale (qui s’appuie sur son sous-financement, provoquant l’obsolescence des équipements et la réduction de la main-d'œuvre, l’élimination des services, le pillages des fonds publics d’assurance, etc.) et, enfin, la privatisation des services, caractérisé par le transfert des coûts au budget individuel du patient et de sa famille » (15).
La très grande majorité des directions syndicales dominantes ne prend pas des initiatives pour réagir à cette nouvelle situation, qui exige de rompre avec la routine ne serait-ce que pour défendre le droit des syndicat à exister. Car, comme l’indique l’exemple des privatisations des hôpitaux en Pologne, le capital n’a plus besoin de « partenaires » : la transformation des salariés en « auto entrepreneurs » — lorsqu’on leur impose des contrats commerciaux à la place des contrats du travail — les prive du droit de se syndiquer, car la loi syndicale en Pologne n’autorise pas (à juste titre) les entrepreneurs d’en être membres. Engluée dans l’idéologie du partenariat social, la CES se limite tout au plus à protester qu’elle n’est plus invitée à négocier au niveau européen.

C’est ce constat qui a conduit des militants politiques, associatifs et syndicaux à tenter de se regrouper à l’échelle européenne. En mai 2011, avec l’aide de l’Institut International de Recherche et de Formation (IIRE-IIRF) (16), à l’initiative du Nouveau parti anticapitaliste (France) et du Syndicat libre « Août 80 » (Pologne), une première conférence européenne en défense du service public de la santé a eu lieu à Amsterdam (17), en présence de militants venant d’Allemagne, de France, de Grande Bretagne, d’Irlande, de Pologne et de Suède. Il s’agissait d’échanger les expériences des luttes et de collectiviser les informations sur les attaques contre les services publics de santé et les rapports de forces dans les différents pays. L’idée de prolonger cette expérience, par un élargissement du réseau à un plus grand nombre de pays d’Europe et à toutes les organisations populaires qui partagent ce point de vue a été adoptée. Une seconde conférence a eu lieu à Katowice (Pologne), en novembre 2011, à l’initiative du Syndicat national polonais des infirmières et sages-femmes (OZZPiP), du Syndicat libre « Août 80 » et de SUD Santé Sociaux (France). La question de l’élargissement du réseau ainsi que l’idée d’en faire un outil capable d’initier des actions communes à l’échelle européenne a germée. Dans ce but la conférence de Katowice a appelée à une nouvelle rencontre européenne, qui a eu lieu à l’Université de Nanterre (France), les 12 et 13 mai 2012, avec des délégations de 28 organisations venant d’Allemagne, de Belgique, d’Espagne, de France, de Grèce, d’Irlande, d’Italie, de Pologne et de Slovaquie. Elle a été coorganisée par la Coordination national des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, le syndicat SUD Santé Sociaux, le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), les Alternatifs et la Fédération pour une Alternative Sociale et Écologique (FASE), le parti communiste français (PCF). Les participants ont adopté une déclaration (18) qui appelle à « l’organisation dans chaque pays d’une semaine d’action européenne, pour le droit à la santé des peuples et contre le démantèlement des services publics de santé et leur marchandisation, du 1er au 7 octobre 2012 » et ont décidé de prendre part au « Village blanc Européen » (campement de personnel de santé) à Varsovie (19) le 6 Octobre » ainsi qu’à « l’organisation d’une Conférence européenne le 7 octobre 2012 à Varsovie ». Une « campagne de communication commune avec affiches communes et pétition commune » sera réalisée.

Ces décisions constituent un grand pas en avant. Regrouper des militants politiques, associatifs et des organisations syndicales à l’échelle européenne n’avait rien d’évident. L’histoire du mouvement ouvrier européen a crée des barrières entre les syndicats et les partis politiques, les expériences néfastes de soumission des syndicats à des partis staliniens et sociaux-démocrates pèsent encore, les capacités de mobilisation entre les uns et les autres différent… Même si, comme on l’a vu récemment, des luttes victorieuses en défense de la santé publique ont été menées par de tels regroupements (à Dresde, par exemple) et que des collectifs de ce type existent dans certains pays (« Notre santé en danger » en France ou « Keep our NHS public » en Grande Bretagne, par exemple), les traditions ont la vie dure. C’est l’urgence de faire face aux attaques coordonnées du capital contre le secteur public de la santé et le constat amère de l’inefficacité des superstructures européennes du mouvement syndical qui a imposé de tenter de regrouper toutes les organisations prêtes à agir : les syndicats qui le veulent, les organisations politiques, les associations, les collectifs et les coordinations. Toutes et tous les militants sont concernés : l’appel de la conférence de Nanterre à une semaine d’action européenne en octobre c’est l’occasion pour toute équipe militante de commencer à agir avec la conscience qu’elle n’est plus isolée, qu’elle peut s’adresser aux participants de la conférence de Nanterre pour obtenir l’aide nécessaire à la résistance.

Les organisations participantes ont lancé la préparation de la semaine d’action européenne au travers des conférences de presse réalisée le 5 juin dans les différents pays d’Europe. Comme l’écrit Vladimir Nieddu, la semaine d’action « organisée sous une forme adaptée dans chaque pays » du 1er au 7 octobre «  n’est pas considérée comme un aboutissement mais comme le point de départ de l’élargissement des mobilisations à d’autres pays et organisations qui n’étaient pas présents à Nanterre. De même que l’Union syndicale Solidaires recherche la construction d’un mouvement interprofessionnel au plan européen, SUD Santé Sociaux cherche à décliner dans notre propre secteur les axes de mobilisation communs à tous les peuples d’Europe. La conférence y a contribué. » (20) « Un mouvement de résistance contre la privatisation de la protection de la santé, contre la favorisation des établissements privés, contre le traitement inacceptable des salariés et des patients est né », disait Iwona Borchulska, présidente de l’OZZPiP lors de la conférence de presse à Varsovie le 5 juin dernier (21). « Sur tout le continent il y a une lutte contre la commercialisation et la privatisation des hôpitaux, des dispensaires, des centres médicaux psychologiques et des secours médicaux. Les organisation des salariés de la santé et les patients n’acceptent pas la marchandisation de la santé » (22), ajoutait Zbigniew Zdonek du Syndicat libre « Août 80 ».


1. 3. Voir : Patrick Hassenteufel, Sylvie Dalaye, Frédéric Pierru, Magali Robelet et Marina Serre, La libéralisation des systèmes de protection maladie européens, Politique européenne n° 2, 2001/1, http://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2001-1-page-29.htm#
2. Dieter Bräuninger et Barbara Böttcher, Revenue, competition, growth, EU-Monitor, Engl., 1 décembre 2011, p. 5. Ce rapport est disponible en anglais sous format PDF : http://www.expedition-d.de/PROD/DBR_INTERNET_DE-PROD/PROD0000000000281545/Revenue%2C+competition%2C+growth%3A+Potential+for+privatisation+in+the+euro+area.PDF;jsessionid=F9AC011C77F476E5C729A4460BAE9B93.srv-loc-dbr-de
3. ibid., p. 15.
4. Le rapport (en polonais) de Janusz Morys, recteur de GUM, peut-être consulté : http://www.rynekzdrowia.pl/Polityka-zdrowotna/Raport-GUMed-niepubliczne-szpitale-lecza-039-oplacalnych-039-pacjentow,120326,14.html
5. Alicja Katarzynska, Bulwersujacy raport : Selekcja chorych w szpitalach, 3 juin 2006, http://m.wyborcza.pl/wyborcza/1,105226,11854824,Bulwersujacy_raport__Selekcja_chorych_w_szpitalach.html
6. Cf. Anita Rzepka, Marché du travail et « contrats poubelles », Inprecor n° 579/580 de décembre 2011-janvier 2012.
7. Le contrat de commande (umowa zlecenie), où l’exécutant (ou un tiers qu’il mandate) s’engage à effectuer correctement un travail donné sans obligation du résultat. Ce type de contrat, sauf précision contraire, peut être dénoncé du jour au lendemain. L’entrepreneur est cependant tenu de respecter les règlements de la sécurité et de l’hygiène du travail et de payer les cotisations de sécurité sociale (sauf si l’exécutant est un étudiant de moins de 26 ans) et l’exécutant ne doit pas effectuer le travail sous la direction de celui qui passe la commande. De tels contrats peuvent être renouvelés indéfiniment sans être considérés comme un CDI.
8. Cf. J. C. Delavigne, Défendre le droit à la santé partout en Europe, Tout-est-à-nous ! du 14 juin 2012.
9. Alexis Benos, La conférence européenne de la santé à Nanterre, Epohi, 28 mai 2012, http://www.epohi.gr/portal/koinonia/12026-2012-05-28-11-53-53&usg=ALkJrhg-l5j9D7VsyUTMSZ6TO93l9jmawQ
10. Le Monde du 15 juin 2012.
11. http://www.pentainvestments.com/about-private-equity
12. Le salaire moyen en Slovaquie était de 769 € en 2010 (le salaire minimum en 2011 : 317 €). Les médecins demandaient donc des salaires entre 1153,50 et 2307 €…
13. Pavel Oravec, vice-président de LUZ/LUP, Report on the Slovak Health Care Situation (October 2011 - May 2012), http://www.fems.net/France/Pages/Documents.aspx
14. Depuis 2009 la Roumanie a dû demander des emprunts au FMI, à la BM et à l’UE — 25 milliards d’euros en 2009 puis de nouveau 5 milliards en mars 2011. Les créditeurs ont alors exigé un « programme d’économies » : réduction de 25 % des salaires de la fonction publique, gel des retraites, hausse de la TVA de 19 % à 24 % ainsi que la « libéralisation » du marché du gaz, de l’électricité et de la santé.
15. Alexis Benos, op. cit.
16. L'Institut International de Recherche et de Formation (IIRF), basée à Amsterdam, a pour but de favoriser les recherches et la formation pour des militants et des chercheurs dans le monde. IIRF organise des cours, conférences et groupes d'étude, traitant de tous les sujets liés à l'émancipation des opprimé(e)s et exploité(e)s opprimé-e-s et exploité-e-s de par le monde. Il accueille également régulièrement des conférences et des débats organisés en liaison avec d'autres forces progressistes. Voir : http://www.iire.org/
17. Cf. le dossier publié à l’issue de cette conférence dans Inprecor n° 573/574 de mai-juin 2011.
18. Lire en p. …
19. Le syndicat OZZPiP, avec le soutien solidaire du syndicat « Août 80 », avait animé un campement devant la Chancellerie du premier ministre (alors Jaroslaw Kaczynski) du 19 juin au 15 juillet 2007 à Varsovie, passé dans l’histoire sous le nom du « village blanc ». Les infirmières et sages-femmes de Pologne soutenaient cette action par une grève tournante dans les hôpitaux dans tout le pays. L’action a débutée lorsque Kaczynski a refusé de recevoir les représentantes de la profession qui luttaient pour une augmentation des salaires et contre la réforme de la santé et que la délégation de l’OZZPiP a décidée d’occuper la Chancellerie tant qu’elle ne sera pas reçue.
20. Vladimir Nieddu, Construire un mouvement social européen dans la santé !, Différent n° 35, juin-juillet-août 2012.
21. Rzeczpospolita, 5 juin 2012

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire